Immersion et impressions ramallahouies

Quand on cherche une chose, on finit souvent pas tomber sur une autre. Je me souviens avoir régulièrement eu cette pensée pendant mon séjour au Liban, et la Palestine a en ce sens quelque chose d’assez semblable dans son caractère imprévisible, à l’opposé de nos vies bien rangées et planifiées.

Depuis mon arrivée, je me suis tour à tour énervée puis amusée, lassée puis accommodée, de la tournure qu’ont pu prendre mes journées. Au bout de quelques jours, je commence à prendre l’habitude de tourner en mode off mon état d’esprit « européen », mais il faudra bien encore quelques mois pour que la manette s’active automatiquement !

Mes dix premiers jours à Ramallah ont été un véritable chaos pendant lequel je n’ai rien fait de tout ce que j’avais prévu, de mes envies les plus exigeantes de touriste aux choses les plus basiques et routinières de toute vie, par exemple les courses. Trimballée d’appartements en appartements, de cafés en restaurants, d’amis en amis, mon programme s’est imposé à moi plus que je ne l’ai choisi. Ainsi dimanche, alors que j’espère enfin pouvoir profiter du calme de la vieille ville de Ramallah, y prendre quelques clichés, puis aller découvrir l’immense mausolée Yasser Arafat, je fini assise dans le bureau d’un Lieutenant Général de l’armée palestinienne chargé de la collaboration avec l’armée israélienne. Rien de grave, je vous rassure. C’est un ami d’une de mes colocataires, et celle-ci voulait à tout prix me le présenter. Je me demande ce que le pauvre peut bien avoir à faire d’une petite touriste française, mais en fait il est ravi de me rencontrer, de me faire visiter son bureau et de pouvoir discuter avec moi en allemand. De mon côté, je me dis que je vais enfin pouvoir recueillir des informations précieuses, voire top secrètes, sur la situation ici ! En fait, je rentrerai bredouille, ayant seulement pu avoir quelques vagues explications sur la coopération nécessaire entre les armées pour des évènements tels que l’arrivée du pape… Quelle déception ! Même pas une mention héroïque de Yasser Arafat, dont l’image trône pourtant dans tous les coins de la pièce. Dans ma timidité et méfiance du premier jour, je n’oserai d’ailleurs pas non plus pousser plus loin les discussions de cette première entrevue.

Rencontre au QG de l’armée palestinienne

Cette rencontre, comme presque toutes celles que j’aie faites depuis mon arrivée à Ramallah, est très frustrante pour la petite étudiante de sciences po que je suis, avide de personnages militants et de discours engagés. Mon envie de venir en Palestine depuis quelques années ayant été guidée en partie par mon envie de mieux comprendre la situation politique locale et le quotidien en temps de conflit, je m’étais un peu imaginée qu’absolument toutes mes rencontres et discussions seraient pleines d’apprentissages politiques que je pourrais ensuite sagement retranscrire sur mon clavier. En fait, je découvre bien vite qu’à Ramallah, il y a une vie en dehors du conflit, que le militantisme est ici surtout l’affaire des classes éduquées et expatriées et qu’il se fait plutôt dans les bureaux que dans la rue. La ville n’étant pas directement exposée aux violences et vivant sous administration de l’Autorité Palestinienne, la population y suit son train-train assez tranquillement, et n’est quotidiennement handicapée que par les checkpoints à passer quand elle se déplace vers d’autres villes. Les Palestiniens et Palestiniennes que j’ai rencontrés jusqu’à maintenant me semblent plutôt résignés et habitués à cette situation, qui n’a même plus l’air de les choquer outre mesure. Une de mes colocataires me parle presque naturellement de l’interdiction pour elle d’aller à Jérusalem, une autre me recommande d’aller à tout prix profiter de l’animation de la ville d’Hébron, quand la seule image que j’en imagine est celle de la colonisation de son vieux centre… Le premier Palestinien de 48 que je rencontre (Nb. ceux qui ont résisté à l’exode en 1948 et sont restés sur le territoire d’avant-partition) me dit qu’il adore vivre à Jaffa et insiste plusieurs fois en me recommandant d’aller travailler en Israël pour avoir un meilleur revenu. De même je rencontre plusieurs personnes qui ont choisi de travailler côté israélien pour mieux gagner leur vie, et qui grâce à ça ont pu se faire construire d’énormes baraques aux superbes intérieurs en marbre. Les magasins sont remplis de boîtes ornées de marques en hébreu, et j’apprends à quel point les liens économiques ont réussi à traverser ce mur qui paraît si opaque. Si je n’étais pas sortie de Ramallah, mes premiers jours m’auraient presque donné l’impression de vivre dans un pays de coexistence pacifique. Mais quelques excursions en Cisjordanie, ainsi que des rencontres à travers mon travail, viennent me rappeler que tout n’est pas si rose, et qu’il me faudra avoir accès à d’autres voix que celle des habitants « lambdas » ramallahouis si je veux en apprendre plus sur les enjeux actuels du pays…

En attendant,comme je m’habitue petit à petit au mode de vie local, j’ai décidé de me laisser aller à d’autres découvertes, et en premier lieu celle de la vie des jeunes de Ramallah. Parfait, en débarquant dans une colocation avec 5 Palestiniennes, je ne pouvais pas tomber mieux ! Chaque jour m’apporte de nouveaux apprentissages sur la culture et la société palestinienne. Le principal que je retiendrai est la différence d’appréhension de l’espace public / privé. Ici on ne vit pas enfermée dans sa chambre, à regarder tranquillement une série télé ou à lire un bouquin. On est deux par chambres, les portes sont presque toujours ouvertes, et même pour travailler ou pour skyper, on ne reste jamais seule bien longtemps ! En revanche, quand il est question de parler de leur vie privée, les filles sont très discrètes, elles n’apprécient pas beaucoup être questionnées ou interpelées sur leurs lieux et partenaires de sortie, les discussions tournant très vite au conflit entre elles sur ce genre de sujet. Je comprendrai plus tard que l’importance de la vie privée s’expliquent par le fait que les filles craignent les jalousies et critiques des autres, car au moindre évènement, ça jase ! La discrétion est donc le maître-mot (il va falloir que je m’y fasse !), et la vie privée devient souvent vie secrète, surtout pour ceux ou celles qui ont du mal à se plier aux normes traditionnelles de la société. Les notions d’espace public et privé sont pour moi complètement renversées, mais cela a un côté très amusant, surtout quand il s’agit d’observer les doubles vies des gens !

Al manzar (la vue) de ma chambre

Ainsi je me délecte de mes sorties avec une ou deux filles, qui quittent le hijab le soir venu pour se vêtir de mini robes et leggings, et qui quittent l’appartement, où l’accès est interdit aux hommes, pour des soirées alcoolisées dans des bars, clubs ou juste dans les grosses voitures de leurs potes, de sexe opposé, devrais-je préciser. Parmi les gens que l’on retrouve en secret, certains ont des double-vies bien plus originales. L’un d’entre eux est marié, 2 gosses et 1 en préparation, mais il sort tous les soirs avec ses potes et sa « copine ». Quand sa femme l’appelle, tout le monde doit se taire pour qu’il lui puisse lui raconter un nouveau bobard. Ce genre de situation m’exaspère plus qu’elle ne m’amuse, mais quand je fais part de mon ressenti aux filles, elles me font comprendre que « Tous les hommes sont comme ça ici », en ajoutant un petit « Be careful » (Fais attention). Le cliché me semble un peu poussé, mais il est vrai que la nature des rapports homme-femme a parfois ici des côtés un peu… déroutants.

3ourfati (ma chambre)

Cependant, pour éviter de tomber dans des généralités et pour mieux appréhender cet aspect comme tous les autres de la vie et de la culture ramallahouies, il me faudra un plus de temps, de vécu et de recul. Tout ce qui est retranscrit ici n’est qu’un déballage de mes premiers ressentis après deux semaines d’un « tourisme socio-culturel » en Palestine, et vu l’évolution constante de mes impressions depuis mon arrivée (ça fait une semaine que j’essaie d’écrire et réécrire cet article différemment jour après jour), je n’oserais aucunement prétendre avoir compris la société palestinienne en si peu de temps !

A suivre…